Le Pays de Montbéliard → Une terre wurtembergeoise

Une terre wurtembergeoise tardivement rattachée à la France :

De fameuses fiançailles :

Jusqu’au néolithique, le Pays, terre de passage entre Jura et Vosges, connaît une occupation humaine intermittente qui se densifie ensuite, en particulier dès le VIIIè s. avant J.-C. Les périodes gauloise et gallo-romaine sont prospères, illustrées par l’essor de l’agglomération d’Epomanduodurum (Mandeure), la seconde de Séquanie derrière Vesontio (Besançon). Après le choc des invasions germaniques, le Xè s. voit l’émergence de Montbéliard, pôle principal de la région qui devient un comté, faisant des comtes de Montbéliard des seigneurs à la fois alsaciens, germaniques, comtois et bourguignons, illustrant bien le fait que cette terre est une terre de contacts entre Rhin et Rhône, entre Jura et Vosges. La ville se développe en même temps que s’affirme l’autorité des comtes, vassaux de l’empereur et du comte de Bourgogne, disposant de solides relations et de pouvoirs étendus.

L’histoire du Pays va connaître un tournant décisif avec l’union de la comtesse de Montbéliard et du prince de Wurtemberg. Le comté étant transmissible par les femmes, particularité du droit montbéliardais, Henriette de Montbéliard (1383-1444) en hérite en 1397 et, le 13 novembre de la même année, est promise au comte de Wurtemberg Eberhard IV : avec cette union, c’est la naissance d’une dynastie qui règnera durant quatre siècles, rapprochant le Pays de Montbéliard de l’Empire germanique et l’écartant de la Bourgogne et de la France, avec des conséquences décisives. Désormais, et jusqu’en 1793, le petit comté fut la possession d’un souverain wurtembergeois, avec une dynastie plus locale du XVIè au XVIIè s. et un retour aux souverains de Stuttgart au XVIIIe.

 

Un petit Etat souverain :

Résident au château de Montbéliard, le prince, souverain absolu, était assisté depuis le XVIè s. d’un Conseil de Régence, véritable gouvernement, dont il choisissait les conseillers. Conseil d’Etat, chambre des finances, tribunal, conseil ecclésiastique, administration centrale, il avait un rôle considérable dans tous les domaines, particulièrement au XVIIIè s., lorsque les souverains ne résidèrent plus à Montbéliard, représentés par un gouverneur, puis, dès 1786, par un « stathouder ». Ce petit Etat était donc une terre wurtembergeoise, régie par le droit public d’Allemagne, et les lois et usages du comté de Bourgogne y furent beaucoup transformés, créant un réel particularisme montbéliardais. Cependant la population resta francophone, l’allemand n’étant utilisé que par l’administration centrale, alors que les élites étaient le plus souvent bilingues.

Au cœur de cet Etat, la ville de Montbéliard est un cas singulier. Bénéficiant depuis 1283 d’une charte de franchise octroyée par le comte Renaud de Bourgogne, la cité est une petite république urbaine dirigée par les bourgeois, avec ses droits, ses pouvoirs, ses privilèges confirmés par chaque souverain lors de son avènement. Le gouvernement municipal, ou Magistrat, était assuré par trois corps, émanation des familles bourgeoises inscrites dans le « livre rouge » : les Neuf maîtres bourgeois, les XVIII et les Notables qui avaient voix délibérative pour les décisions à prendre. Le Magistrat gérait la ville mais le comte avait un droit de regard sur les finances et des possibilités d’intervention dans le domaine économique ; il disposait aussi d’un représentant dans l’assemblée municipale qui l’informait des décisions prises et transmettait ses avis. Tout au long de l’Ancien Régime, surtout au XVIè s., les rapports entre les deux pouvoirs furent souvent tendus, mais sans dérive violente, et débouchant toujours sur des compromis acceptables.

La domination wurtembergeoise eut pour le Pays des conséquences importantes. D’abord, il se trouva dès la seconde moitié du XVIIè s. en situation d’enclavement entre deux provinces françaises, l’Alsace et la Franche-Comté, proie convoitée et en apparence facile pour les souverains bourbons. Il se trouva aussi isolé sur le plan économique privé d’une ouverture sur un grand marché. En revanche, sur le plan intellectuel, ses élites furent formées à Stuttgart, Tübingen ou Bâle. Le passé germanique du Pays est perceptible aujourd’hui dans l’architecture où les traces de l’œuvre de l’architecte wurtembergeois Heinrich Schickhardt sont bien visibles.
 

Un tardif rattachement à la France.

Dès 1678, date de l’annexion de la Franche-Comté, les Français multiplient les pressions sur le petit territoire, occupé militairement jusqu’en 1698. Les années qui suivent sont marquées par l’annexion des seigneuries de Blamont, Clémont, Héricourt et Châtelot : le grignotage commence sans que le Wurtemberg puisse réagir, sinon diplomatiquement, ce qui freina cependant les appétits français. Manquant de moyens financiers et ne pouvant plus envisager un affrontement brutal, la France reste à l’affût, prête à saisir la moindre occasion, en particulier sur le plan économique. Pour étouffer le Pays, elle l’enserre d’un solide corset douanier et fait en sorte que la grande route royale de Besançon à Strasbourg évite soigneusement Montbéliard. Cette guerre économique qui touchait de plein fouet l’activité locale préparait de façon sournoise mais inéluctable l’annexion. Dans ces conditions, la bourgeoisie marchande et les entrepreneurs, souhaitant briser le corset douanier pour élargir leurs perspectives, envisageaient de plus en plus positivement une annexion française, alors que le Magistrat était plutôt favorable au statu quo et que le peuple, sévèrement touché par la crise de subsistance de 1789-1790, souhaitait voir son sort s’améliorer.

La dégradation du climat économique et les tensions sociales croissantes conduisent le stathouder Frédéric Eugène à quitter le Pays le 27 avril 1792 pour retourner en Wurtemberg. Le pouvoir est de fait vacant, avec un Conseil de Régence impuissant et un Magistrat paralysé et c’est à l’instigation d’un groupe de marchands que le conventionnel Bernard de Saintes vient, au nom de la France, prendre possession de Montbéliard et de la Principauté. Il arrive le 10 octobre 1793 de Belfort avec un escadron de cavalerie, un bataillon d’infanterie et un canon.

C’est la fin, sans violence, d’une indépendance séculaire : le Pays est devenu français.

Passées les hésitations de la Convention et la mascarade du culte local de l’Etre suprême, les habitants, sans avoir manifesté la moindre hostilité à leurs nouveaux maîtres, deviennent de bons Français et de bons républicains. Mais dans l’immédiat le rattachement à la France n’avait pas été très favorable au Pays : ainsi Montbéliard, ex-capitale d’un petit Etat, se trouva d’abord reléguée au rang de modeste chef-lieu de Haute-Saône. En 1797 le Pays fut rattaché au département du Mont-Terrible, supprimé en 1800, puis au Haut-Rhin, avant d’être définitivement rattaché au Doubs en 1816, Montbéliard devenant sous-préfecture. Dès lors, le Pays vit au rythme de la France, subissant courageusement sur son sol les effets des conflits franco-allemands.

Durant la guerre de 1870, il supporte une rude occupation prussienne et la retraite du général Bourbaki (janvier 1871). Il accueille des Alsaciens et Lorrains quittant leur province annexée pour ne pas prendre la nationalité allemande. Il devient aussi, avec le tracé de la nouvelle frontière, une zone essentielle, hâtivement fortifiée, pour la protection du territoire national. Durant la première guerre mondiale il est une base arrière proche du front où tout le puissant

potentiel industriel est mis au service de la défense. Après l’invasion de juin 1940, le Pays est soumis à une très brutale occupation allemande qui multiplie les exactions, surtout à partir de 1942. Une résistance active et multiforme s’organise : filières d’exfiltration vers la Suisse, sabotages, renseignement, maquis d’Ecot et du Lomont. La répression nazie est terrible, dans la ville comme dans les villages alentour. La libération par la Première armée française arrive le 17 novembre 1944 après de rudes combats.

 

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