Le Pays de Montbéliard → Une terre marquée.....

Une terre marquée par le luthéranisme.

L’installation précoce de la Réforme.

La marque du luthéranisme constitue l’autre originalité historique du Pays de Montbéliard. Dans un contexte de crise spirituelle commun à toute l’Europe occidentale, le prince Ulrich Ier acquis aux idées luthériennes, fit appel à Guillaume Farel, dauphinois alors exilé à Bâle, pour qu’il vienne prêcher la Réforme à Montbéliard ; or celui-ci s’y emploie avec une telle véhémence que l’on doit l’expulser en 1525. Son passage fut bref, mais il fut le premier à introduire dans la ville les idées de Luther et y laissa des livres pieux. Dix ans plus tard, Ulrich demanda au prédicateur Pierre Toussain, venu de Metz, de poursuivre la tâche. Proche de Luther et des théologiens wurtembergeois, il parvint, au prix d’une activité inlassable à enraciner les idées réformées dans la ville : le culte catholique y est aboli en 1538 et la Réforme gagne les campagnes du comté au cours des dix années suivantes. Les catholiques sont de moins en moins nombreux, alors qu’arrivent de Suisse et de France des prédicateurs calvinistes, créant de vives tensions avec les luthériens, sans que jamais cela ne dégénère en violences physiques : il n’y eut pas de guerres de religion dans le Pays. Sous le règne du comte Georges (1553-1558), la Réforme luthérienne est définitivement installée : le prince, conforté dans son pouvoir religieux par la paix d’Augsbourg (1555), selon laquelle les sujets devaient suivre la religion de leur souverain, contraint les habitants du Pays de Montbéliard à adopter sa conception de la Réforme : un luthéranisme strict et wurtembergeois.

Cela n’empêche pas les difficultés religieuses : manque de livres sacrés, organisation précaire, liturgie peu rigoureuse, tensions croissantes entre luthériens et calvinistes renforcés par l’arrivée de nombreux huguenots. Le luthéranisme voulu par le pouvoir irrite donc une partie de la population qui souhaite une plus grande liberté religieuse. Face à cette situation, le prince Frédéric (1558-1608), soucieux de son autorité et féru de théologie, impose fermement un luthéranisme officiel, après avoir essayé, en vain, de trouver un compromis. Le 26 décembre 1586, afin de couper court aux troubles et aux tensions, il fait publier la « confession de Montbéliard » que doivent accepter tous les habitants : les récalcitrants devaient se soumettre ou partir. La religion du prince est reconnue comme religion d’Etat, associant de façon très étroite les domaines civil et religieux, avec Montbéliard comme centre d’un petit diocèse luthérien et siège de son « évêque suprême », le prince. Fort de cette unité retrouvée, Frédéric acheva l’œuvre d’organisation religieuse commencée par ses prédécesseurs : installation des pasteurs, assistance, nouvelles paroisses, nouveaux temples, mise en place de visites ecclésiastiques. Achevé en 1604, le temple Saint-Martin, cadeau de Frédéric à ses sujets et réalisé par son architecte Heinrich Schickhardt, consacrait le triomphe du luthéranisme et devenait le symbole éclatant de l’autorité religieuse du prince en même temps que l’illustration d’une Renaissance montbéliardaise. Le Pays était devenu le seul territoire luthérien d’expression française, ce qui n’était pas sa moindre originalité et entraîna pour lui de lourdes conséquences.

 

Un impact considérable.

Le passage à la Réforme imposa une marque profonde. Il fit naître une éthique collective faite de culte du travail, d’austérité et de rigueur, de refus du paraître et de discrétion conséquences du contrôle social imposé par les pasteurs dans les paroisses. Le luthéranisme, religion du Livre, qui imposait à tout fidèle un accès direct aux Ecritures, fut à l’origine d’un effort d’alphabétisation précoce : le Pays se couvrit d’écoles, directement liées à l’enseignement religieux et placées sous l’autorité des pasteurs ; à la veille du rattachement à la France, il y avait une école par paroisse, accueillant garçons et filles et le taux d’alphabétisation était déjà très élevé, donnant au Pays une avance réelle par rapport à ses voisins. A Montbéliard, un gymnase (ou lycée) permettait aux fils de l’élite de faire leurs humanités, les uns, futurs pasteurs, rejoignant ensuite l’université de Tübingen, les autres l’Académie caroline de Stuttgart, dont le plus illustre étudiant fut Georges Cuvier.

Le passage du Pays au protestantisme eut sous Louis XIV des conséquences dramatiques. Depuis le rattachement de l’Alsace (1648) et la conquête de la Franche-Comté (1674), le roi catholique ne pouvait tolérer aux frontières de son royaume une enclave protestante. Le 5 novembre 1676, les Français investissent Montbéliard et y pénètrent quatre jours plus tard. Impuissant, le prince Georges II quitte la ville et se réfugie à Bâle. L’occupation française va durer plus de vingt ans, marquée par des outrages répétés et une vigoureuse tentative de « recatholicisation » : processions provocatrices, persécution des pasteurs, démolition de Saint-Martin évitée de justesse, installation d’un curé et rétablissement d’un culte catholique dans la ville et dans les seigneuries de Blamont, Clémont, Héricourt et Châtelot. Le traité de Ryswick oblige Louis XIV à évacuer le comté mais il impose le maintien d’un curé à Montbéliard avec un culte catholique suivi par de rares fidèles.

 

Une terre d’accueil et d’oecuménisme.

Terre protestante, le Pays fut très tôt une terre de refuge. D’abord pour les huguenots français fuyant les guerres de religion ou les persécutions de Louis XIV : c’est d’ailleurs à leur intention que fut construit le temple Saint-Georges en 1674 dans le quartier de la Neuve Ville. Au début du XVIIè siècle, le prince Léopold-Eberhard fit venir des fermiers anabaptistes alsaciens afin de développer et moderniser l’agriculture et l’élevage. Ils firent souche et constituèrent une communauté spirituelle dynamique en marge du luthéranisme officiel. Avec le rattachement à la France et le triomphe de la liberté religieuse, le Pays devint dès la fin du XIXè siècle une terre de foisonnement spirituel dans la mouvance protestante : en marge d’un luthéranisme toujours majoritaire se développaient des communautés évangéliques, baptistes, anabaptistes-mennonites, darbystes, sans oublier l’Armée du Salut qui connut un remarquable essor.

Parallèlement, le catholicisme, marginal au début du XIXè s., se développa en même temps que l’industrie. Pour faire fonctionner ateliers et usines, le patronat protestant fit venir de la main-d’œuvre de l’extérieur : du Doubs, de la Haute-Saône et du Jura catholiques, et plus tard d’Italie, de Pologne ou du Portugal. Dès 1e milieu du XIXè s., les catholiques étaient majoritaires dans le Pays, ce qu’illustre bien l’arrogante construction de l’église Saint-Maimboeuf de Montbéliard. En 1914, même si subsistaient certaine méfiances, les catholiques étaient parfaitement intégrés dans la ville , mais sans en détenir les pouvoirs. Au début du XIXè s. existait une petite communauté israélite qui fut revigorée avec les réfugiés d’Alsace-Lorraine après la guerre de 1870 ; elle était parfaitement intégrée et fut presque entièrement décimée par la répression nazie.

Le Pays fut enfin une terre de naissance du mouvement oecuménique. Le poids du passé aidant, catholiques et protestants se comprenaient assez mal ou s’ignoraient. La seconde guerre mondiale permit la naissance de nouvelles solidarités. Le combat commun dans la résistance conduisit, dès la fin des années 1950, aux premières réflexions sur l’œcuménisme avec l’abbé Flory, archiprêtre de Montbéliard, le pasteur Marchand de Belfort et le pasteur Chargeraud de Montbéliard. Dans ce domaine, le Pays eut aussi un rôle pionnier et d’entraînement.

 

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